Il n’y avait pas de matins comme ce matin-là . Un vieux moine aux yeux blancs priait depuis plusieurs années sans s’arrêter, sans dormir, le regard éteint, mué, la bouche psalmodiant un monocorde sourd, tout intérieur. Ce matin-là , dans la couronne du cloitre il est sous l’ormeau dans l’ombre végétale. Il n’y avait pas de matins comme ce matin-là . Presque rien pour les yeux une lavandière heureuse chante. Ses cheveux en pagaille mis dans un foulard sale ressemblent à un nid d’oiseau de paradis. Il n’y avait pas de matins comme celui-là . Une chanson de Lavandière ça ne devrait franchir les murs d’un cimetière, le fossé d’un église, les grilles d’un monastère. Ca devrait se perdre dans les colonnes du cloitre, être humble au milieux des vertus, ça ne devrait jamais réveiller un vieux moine. Il n’y avait pas de matins comme celui-là . L’aveugle ne recouvre pas la vue, mais il voit : là ses années offertes et là son sacrifice. Ses années sacrifiées. Un tout petit coffret qu’il n’eut jamais ouvert. Il n’avait jamais eu de matins comme celui-là . Un vide c’est rempli. Puis la nuit le surprend car il ne ressent plus cette peur des ténèbres où se logeait le doute. Il n’y a pas de nuit comme celle-là car il n’y a pas de miracle : un aveugle, ça n’écrit pas. Mais le matin il y a l’ancre sur du papier de paille : "Pour Maria Thérésa, la jeune Lavandière". La plume était légère, elle dansait gaiement, on voit une musique que nul ne pourrait lire. Mais déjà on s’inquiète : Qui peut alors séparer l’œuvre de Dieu de celle du Malin ? Le moine était aveugle, il est mort dans la nuit, on lui ferme les yeux : il n’y aura plus de matins comme celui là . Quand on chercha la voix pour chanter le requiem nul ne pouvait déchiffrer les délires du moines dans sa dernière nuit. Comme elle ne savait lire et qu’il n’y avait pas d’écriture, mais bel et bien le dessin d’un chant, assez précis, pour qu’elle le reconnaisse elle comprit que cette musique c’était la sienne, celle qui jouait en elle lorsqu’elle était heureuse. Cela la rendit heureuse, alors elle chanta et tous furent éblouis. Mais elle ne s’appelait pas Maria Thérésa, elle n’avait pas de nom, elle était orpheline la belle lavandière. Il y avait un homme dans un coin de la ville, dans un coin des mémoires. A lui non plus nul ne savait son nom. On n’avait pas besoin de connaitre son nom, il ne sortait jamais. C’était l’"homme des livres", parce qu’on l’avait vu lire, ou bien c’était "Le diable". Une Histoire dit que le diable est des hommes, et qu’il vit avec eux, et aussi qu’il habite une vielle maison où toute la nuit brûle une même chandelle qui colore de rouge la plus haute fenêtre. Mais c’est un jour étrange et cet homme il est là dans un coin de l’église. Il y à bien longtemps, il connaissait un moine qu’on enterre ce jour. Point de joie dans les visages fermés, la pierre humide, les statues, c’est sur le visage de cet homme, différent, marqué, mais vif et au regard brillant, que la lavandière, apeurée trouva la force d’être heureuse. Alors elle chanta pour elle, comme la première fois, avec tant de confiance et d’assurance qu’on aurait pu jurer la partition écrite. Si bien qu’on garda de ce jour un souvenir de fête, aussi lorsqu’on trouva un matin le premier malheureux d’une longe série, il sembla naturel que la lavandière chanta pour adoucir le deuil. Et la rumeur murissait que le criminel agissait pour entendre, toujours une fois de plus, ce cantique qui attendrissait la mort. mais personne n’osait la formuler car tous étaient éblouis, et ils se disaient "Qui en serait capable ?" tout en pensant à eux. La lavandière ne s’en souciait pas et son chant évoluait comme son désir pour cet homme étrange murissait. Elle finit par chanter pour lui ; et non plus simplement pour elle. Et lorsque l’office prenait fin lui repartait à pied, marchant souvent de longues heures, son chant l’accompagnait un bout du chemin, jusqu’à que sa mémoire en oublie le timbre et la musique. Après presque une année, il arriva un jour où le chant le suivit jusqu’à ’ sa porte et souffla sur son oreille. La lavandière est là , dans la nuit, silhouette frêle se découpant sur un mur blanc de lune. Et cette nuit la lune pleine, qui chasse les étoiles et fascine les hommes, la lune a sa rivale et la lune est vaincue.
Il y avait sur les murs des rayonnages de reliures sombres et dorées. Des livres et des dessins, au mur et sur le sol. Ce soir-là , un autre oiseau naquit des ombres et des lumières, au détroit de ses seins. A l’aube elle du le quitter. Elle dans sa fuite légère son œil est attiré par le second rayon sur des feuilles entassées. Dans un instant elle perçoit alors sa musique là dans les moindres détails comme un portrait à nu, couché sur le papier. Mais ce qu’elle voit surtout c’est la passion d’un homme, si intense, que c’est une folie. L’homme des Livres ce matin-là n’est plus le même. Il a dans une seconde retrouvé son histoire, retrouvé son passé dans un trait de lumière. Dans sa jeunesse il y avait une femme Maria Thérésa, à la pure beauté. Il dessinait les oiseaux, elle chantait. A présent la douleur ressuscitée était insupportable, il prit le nécessaire et les oiseaux au mur, pour une fois, le virent sortir sans refermer la porte. Et voilà dans l’église où elle chantait hier, de tout son corps vibrant sa vraie musique libre, la lavandière qui aujourd’hui chuchote et qui retient ses mots. Quelques jours après la nuit de la pleine lune, sans qu’on comprenne pourquoi, se présenta un jeune homme ni rustre, ni sale, ni laid. Il avoua tous les meurtres sans remords ni regrets. |